Interview de DEREK O’NEILL, CEO de VISSLA, pour l'EuroSIMA.
- Stéphane ROBIN
- 14 août 2017
- 7 min de lecture

Pionnier de l’industrie du surf européenne, Derek O’Neill a lancé et dirigé Billabong en Europe pendant 12 ans avant d’en devenir le PDG international. A 54 ans, il aurait pu passer le reste de sa vie à surfer, mais la retraite, il n’en veut pas. Il est de retour à Hossegor depuis trois ans pour développer Vissla, une nouvelle marque « to make surfing great again ». Et le moins qu’on puisse dire c’est que ça se présente plutôt bien.
Derek, où as-tu grandi ?
Dans le Victoria en Australie.
Qu’est-ce qu’on fait quand on grandit en Australie ?
J’ai commencé le surf à onze ans. En Australie, il y a des clubs de surf qui organisent des compétitions un weekend sur deux, et on surfe contre ses copains. C’était ça ma vie à partir de l’âge de 14 ans. J’ai même participé à des petites compétitions pro mais je n’ai jamais vraiment gagné quoi que ce soit. J’ai toujours pensé que mes frais d’inscription servaient à payer le prize money du gagnant.
D’où vient ta passion pour le surf ?
On passait notre vie à la plage, c’était logique d’aller surfer.
Tu voulais faire quoi petit ?
Le surf a vraiment été le fil rouge de ma vie depuis l’adolescence. Un de mes copains avait un surf shop, du coup je passais mon temps à la plage ou au shop.
Quel est ton parcours ?
J’ai commencé à travailler à Torquay en tant que représentant commercial chez Piping Hot wetsuits, la marque numéro 2 de combinaisons en Australie. De représentant, je suis passé responsable des ventes. Quand l’entreprise a été vendue, je suis parti en Europe. Au départ, ça devait être pour 6 mois mais j’y suis finalement resté 12 ans.
Tu as fait quoi alors en Europe ?
Billabong faisait imprimer des t-shirts en Angleterre, et les revendait à d’autres magasins, mais la distribution n’était pas organisée en Europe. J’ai commencé à commander pour les shops auprès de Billabong en Australie, et au bout d’un an et demi, Billabong m’a demandé d’ouvrir les premiers bureaux en France. J’avais la liberté de choisir où je voulais m’installer. Je suis allé à Lacanau, San Sebastian, Biarritz, Mundaka, mais c’est Hossegor qui m’a semblé l’endroit le plus logique. Nous avons commencé en 1991, avec 3 employés.
En à peine plus de 10 ans tu te retrouves PDG international de Billabong, comment as-tu vécu cette promotion ?
C’est bizarre parce je n’avais jamais vraiment rêvé de ce poste. J’aurais préféré rester en Europe. Mais je savais que c’était le prochain challenge à relever et je n’ai jamais reculé devant un challenge. Mais j’étais triste de quitter l’Europe et j’ai toujours pensé que j’y retournerais un jour.
En 2012, le Board de Billabong décide de te remercier. Ça a changé quoi à ta vie ?
Après plus de 20 ans dans l’industrie du surf, je pensais que la retraite et ralentir un peu serait une bonne chose. En tout cas, il me tardait d’y être.
Et alors, c’est comment la retraite ?
Au bout de six mois, je commençais à m’ennuyer. Ça n’était pas du tout ce que j’avais imaginé. La retraite? Ça n’a rien d’amusant. Tu n’as rien à faire, et toute la journée pour le faire. On en a vite fait le tour. Certes, tu peux aller surfer Tavarua tous les jours mais le problème c’est que tes copains, eux, sont au boulot.
Tu as fait quoi pour rebondir ?
Je me suis demandé ce que j’avais vraiment envie de faire et avec qui j’avais envie de travailler. Je n’avais jamais vraiment pensé à créer ma propre marque; je ne me considère pas comme un designer, mais quand Paul Naude est venu me parler de Vissla fin 2013, ma réponse a été immédiate, j’ai dit go !
« Je voulais retrouver une entreprise de petite taille, fun, fidèle aux valeurs du surf : une entreprise de surf authentique. »
Tu t’occupes de quoi chez Vissla ?
On voulait lancer la marque à l’international. J’ai donc décidé de m’occuper de l’Europe. Avec Vissla, je voulais retrouver une entreprise de petite taille, fun, fidèle aux valeurs du surf : une entreprise de surf authentique. Une entreprise plus simple à diriger et dans laquelle, au final, on s’amuse.
Ça fait quoi de repartir de zéro ?
Chez Billabong, on avait déjà tout. On avait déjà le design, on avait déjà les produits. Il nous restait plus qu’à trouver comment faire pour amener tout ça en Europe et dans les shops. Avec Vissla, il a vraiment fallu démarrer de zéro. Mais grâce aux changements dans notre industrie, il y avait tout à coup autour de nous un tas de gens extraordinaires, très qualifiés et disponibles. Des spécialistes du design, du marketing, de la vente, etc. Beaucoup nous ont contactés, nous avions un tas de gens très talentueux avec qui travailler. On a besoin des gens, de gens de qualité. Une marque ne peut exister sans les personnes qu’il y a derrière. Malheureusement, on n’a pas pu accueillir tout le monde. Quand on démarre, il faut y aller avec précaution, pas à pas.
Qu’est-ce qui différencie Vissla des autres marques de surf ?
Avec Vissla, on voulait simplement faire une marque qui occupe une petite place du marché et que les détaillants soutiendraient. On essaie de travailler en étroite collaboration avec nos clients. On essaie de ne pas avoir de produits fortement soldés sur internet. On veut que nos détaillants sentent qu’ils peuvent avoir une vraie marge sur toute la saison et que les consommateurs viennent dans leurs boutiques pour trouver les produits. Garder une distribution saine est très important.
Qu’est-ce qui a permis à Vissla d’avoir un démarrage aussi rapide ?
On a encore du chemin à faire, mais je pense qu’on n’est pas trop mal. Le marché est difficile en Europe. Même si notre activité a des bases solides, il faut se rendre à l’évidence que ce n’est facile pour personne. Quand je me mets à l’eau au milieu d’une cinquantaine de personnes, j’adore voir ne serait-ce qu’une ou deux personnes porter un short ou une combinaison Vissla. Pour moi, c’est fantastique de voir que nous sommes une source d’inspiration et que les gens achètent nos produits. Je ne peux pas m’empêcher d’aller les voir pour leur poser des tas de questions sur ce qu’ils pensent des produits. C’est la joie de voir des gens adhérer à ce que l’on a lancé il n’y a pas si longtemps qui me donne la motivation d’aller travailler tous les jours.
Que signifie votre slogan « surf everything and ride anything » ?
En tant que société, on ne s’est jamais fixé sur un type de glisse particulier. On adore le surf de compétition mais nous sommes une petite entreprise et justement parce que nous sommes petits nous devons aussi nous pencher sur autre chose. Les shapers en particulier sont au cœur du surf depuis le début. On a donc envie de soutenir différents types de shapers et différents types de planches. Et puis tout le monde n’a pas forcément envie de la toute dernière thruster 5’10.
Qu’est-ce qui te plaît le plus dans l’entrepreneuriat ?
Les Australiens sont des entrepreneurs nés. On lance une entreprise pour la fermer un mois plus tard. On n’a pas peur de l’échec. J’ai toujours eu le sentiment, même à mes débuts quand j’étais représentant, que je travaillais d’abord pour moi. Il faut donc trouver ce qui marche pour soi et se lancer. Je préfère être le joueur de tennis plutôt que le ramasseur de balles, c’est ça ma vision de l’entreprenariat.
« J’ai le sentiment que tout ce que je sais aujourd’hui, je l’ai appris de quelqu’un avec qui j’ai travaillé. J’ai mis des années à comprendre cela, mais ça a vraiment tout changé pour moi. »
Que t’a appris ton expérience ?
J’ai le sentiment que tout ce que je sais aujourd’hui, je l’ai appris de quelqu’un avec qui j’ai travaillé. Pour moi, chaque individu dans l’entreprise a quelque chose à m’apporter au quotidien. Je préfère cent fois plus apprendre des choses des personnes plutôt que de passer des heures assis devant des statistiques. J’ai toujours essayé de recruter des personnes compétentes qui en savent bien plus que moi sur les différents aspects du métier parce qu’elles peuvent m’apprendre quelque chose au quotidien. J’ai mis des années à comprendre cela, mais ça a vraiment tout changé pour moi.
Comment vois-tu le développement de l’industrie de la glisse aujourd’hui par rapport à tes débuts ?
Au début des années 90, le marché en Europe était très compétitif, mais c’était un type de compétition différent d’aujourd’hui. A l’époque, si on avait besoin d’un distributeur en Autriche, Harry Hodge de Quiksilver ou Fraçois Payot chez Rip Curl étaient ouverts et suggéraient des solutions. C’était un peu comme si les sociétés à cette époque voulaient vraiment soutenir les autres marques dans leur développement. Elles préféraient se retrouver dans les surf shops aux côtés de Billabong plutôt que d’autres marques comme Puma. EuroSIMA est né de cet esprit, pour se rassembler, se réunir et échanger sur comment l’industrie pourrait se développer et créer un territoire qui génère des emplois pérennes. Quand je suis arrivé en France, il y avait peut être 400 employés dans l’industrie du surf. Dans les années 2000, ce chiffre avait dépassé les 5000 salariés.
Tu es content de revivre en France ?
Oui, la France a une culture fantastique. L’Australie est loin de tout, de partout. La France est très riche, elle a beaucoup d’histoire. Tu peux conduire une petite heure puis prendre un vol court d’une heure et vivre quelque chose de complètement différent. L’Australie est un très grand pays et il y a beaucoup à voir, mais tu peux conduire pendant trois jours d’affilé et tu seras toujours dans le même pays. Tout se ressemble dans le pays. Le plus dur en France, c’est l’hiver. Mais les vagues sont exceptionnelles et les combinaisons se sont bien améliorées.
Où est-ce que tu te vois dans 5 ans ?
J’aime venir travailler tous les jours avec notre équipe et tenter de leur montrer où on souhaite aller pour qu’ensuite ils aillent développer notre entreprise et, je l’espère, atteindre cet objectif. J’aime manager une équipe de jeunes, efficaces et inspirants. Et si je fais encore ça dans 5 ans, ça m’ira très bien.

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